Harley-Davidson Factory Racing à Barcelone

Le sourire de Brad Binder, pilote KTM en MotoGP, en dit long. John Hopkins vient de passer en trombe sur une Harley-Davidson Bagger, la roue avant pointée vers le satellite le plus proche. Et tout au long de la journée, le rugissement de la Harley continue et les visages de nombreux pilotes de MotoGP s’élargissent de plus en plus. L’usine Harley-Davidson semble plus que déterminé à faire connaître les compétitions de “King of the Baggers” en Europe. Et elle a raison !

Texte : Pieter Ryckaert

Hé Randy, tu auras une meilleure vue si tu te tiens droit un instant !

131R

En effet, dans les stands, trois Harley-Davidson 131R sont en train de chauffer. On a d’abord l’impression que le moteur de démarrage d’un Spitfire s’efforce de vaincre des compressions de la taille de quelque chose qui fait penser au Big Bang. Il est suivi de près par ce qui doit ressembler véritablement au Big Bang. Et même, trois fois plus. Un Japonais aux cheveux longs qui se tenait derrière l’une des Harley voit ses cheveux se projetés vers l’arrière du stand. Le reste des participants, moi y compris, se précipite hors de la zone, les mains sur les oreilles. Mon oreille gauche était déjà endommagée par un acouphène. Je pense que les trois quarts de mes organes viennent de subir une hémorragie sismique.

11. Ce doit être le jouet de Simon Crafar...

Plus c’est gros, mieux c’est

Les mécaniciens Harley accrochés à la poignée d’accélérateur, portant manifestement d’énormes cache-oreilles, sont mort de rire. Ils sont là pour impressionner, c’est clair. Mais quelle impression ? Aux États-Unis, la catégorie « King of the Baggers » est très populaire. Là-bas, plus c’est gros, mieux c’est. Et avec une cylindrée de 2 144 cm3, un carénage de tête de fourche ayant la surface frontale d’un camion Kenworth et, néanmoins, une vitesse de pointe qui flirte avec les 300 km/h à Daytona, « gros » dans le cas de ces bagger-racers est, en quelque sorte, un euphémisme.

« Dans le quatrième virage de la toute première séance, Mamola a déjà mis la Harley en travers. Ouah. »

Des questions ?

Les baggers sont assez populaires de l’autre côté de l’Atlantique, mais sont à peine connus ici en Europe, en dehors de quelques amateurs de « Sons of Anarchy ». Que vient donc chercher Harley ici ? Les big twin se taisent et Jochen Zeit, le PDG de Harley-Davidson à l’allure plutôt européenne, s’assoit avec le père et le fils Espeleta, les directeurs de Dorna, le promoteur du MotoGP. Quelques amabilités sont échangées, ils reviennent sur la course de Baggers organisée à Cota au Texas en prologue du MotoGP et sur le fait que de bonnes discussions sont en cours, mais que rien n’a encore été décidé, ou ne peut être dit. Au fait, il y a des questions ?

En suspens

Il semble que quelques personnes dans la salle de presse se soient manifestées, mais aucune d’entre elles n’a reçue de réponse concluante. Nous apprenons donc que Dorna et Harley ne savent rien pour l’instant. Bon, on déjeune ? Et ensuite on repart avec  la voiture de location vers l’aéroport pour rentrer à la maison ? Ou alors, attendez une minute… Est-ce que je ne vois pas Randy Mamola enfiler une combi ? Est-ce que c’est John Hopkins qui boitille ? Et ce jeune homme à l’allure d’adolescent, ce n’est pas Marco Melandri ? Oui, c’est ça. Et les numéros affichés sur les Harley suggèrent qu’ils vont rouler aussi. Dans ce cas, je vais rester dans les parages pendant un moment….

Rien que des visages heureux parmi les pilotes d'essai. C'était différent avec l'équipe de tournage qui essayait en même temps de faire un film sur le Moto2 ...

Doppler

Regarder Randy Mamola, à la fois légende du GP et clown à plein temps, monter sur une Harley dont la hauteur de selle ferait pâlir Armand Duplantis, est un événement en soi. L’hilarité est totale. L’équipe de tournage demande à nouveau le silence. Mamola répond en démarrant sa Harley et je crois voir quelques figurants s’évanouir. Mamola part en trombe, suivi par Kyle Wyman, le jeune pilote le plus titré de l’histoire de la catégorie. Pendant ce temps, Simon Crafar, commentateur du MotoGP et ancien vainqueur de GP, peine lui aussi à se poser sur la moto, malgré ses longues jambes. Mais lui aussi s’élance à plein régime. L’effet doppler entre l’immense tribune et le bâtiment des stands ne peut être qualifié que de « biblique ». L’équipe de tournage crie « action » pour tenter de faire de cette journée quelque chose de mémorable.

Grosse Bertha

Espoir vain, moi je peux suivre les Harley séparément sur toute la piste, entre les bourdonnements de mes tympans encore abîmés. Et puis, c’est la ligne droite. Tous les mécaniciens MotoGP présents sont déjà accrochés au mur. Mamola, en bon showman qu’il est, passe juste à côté du mur et, une fois de plus, on voit partout des mécaniciens s’esquiver ou tendre l’oreille pour entendre un son que je décris cette fois comme étant Motörhead rendant hommage à Zeus avec la Grosse Bertha en guise de grosse caisse. Pendant ce temps, le directeur de l’équipe de tournage mange son clapboard. C’est merveilleux.

Ils sont chauds

Après environ cinq tours, ils rentrent aux stands. Je vois Mamola et Crafar qui sourient d’une oreille à l’autre. Crafar dit qu’il s’est entiché du moteur. Il est facile à doser, puissant et sans vibrations. Il imagine immédiatement une version à utiliser sur la route. Mamola n’en finit pas de parler. Kyle Wyman se dit impressionné par la façon avec laquelle Mamola a déjà mis la Harley en travers à la sortie du quatrième virage. Entre-temps, l’équipe de tournage a déjà réquisitionné trois hommes pour les faire taire, mais échoue une fois de plus dans sa mission. L’enthousiasme est trop grand et ne peut être contenu.

2-8-8

J’en profite pour m’adresser au seul mécanicien qui ne semble rien faire. Le mot « Goose » est inscrit sur son tablier et je me lance dans un « Talk to me Goose » qu’il semble trouver amusant. J’apprends que le twin est essentiellement un moteur CVO standard à la base, mais qu’il a subi quelques modifications internes. Je n’arrive pas à savoir quoi, mais quand on sait que cette chose a l’aérodynamisme d’une grange, et qui doit peser au moins 288 kilos, arrive à rouler à 300 km/h, c’est que la puissance et le couple sont déjà « adéquats ». DEUX-HUIT-HUIT. C’est le poids de deux motos de Superbike.

Écrasé

Les Dunlop utilisés sont les mêmes qu’en AMA Superbike et ils sont mis à rude épreuve. Chaque course compte environ huit ou neuf tours, car ensuite les pneus ne sont plus considérés comme « sûrs ». Ils sont littéralement mis en pièces et la carcasse se plie comme une chaise pliante branlante. Les 131R partent très facilement en vrille, ce qui ne fait qu’ajouter au spectacle.

Accélération intermédiaire

Il y a six vitesses, mais en général, on utilise la boîte que du deuxième au cinquième rapport. Le premier est difficilement utilisable, même pour le démarrage, en raison du couple excessif. Des pilotes m’ont dit que le quickshifter ne fonctionne bien que lorsque la moto est à la verticale et qu’il faut toujours mettre un coup de gaz pour rétrograder parce que la compression bloque la roue arrière avant même que l’on puisse crier « merde ».

Piggyback

Pour les suspensions, on trouve à l’avant une fourche inversée de type superbike et à l’arrière, deux amortisseurs, avec des réservoirs piggyback montés entre les boîtiers et le garde-boue arrière. Le cadre est standard, mais le bras oscillant est une œuvre d’art. Une pièce d’art nouveau fraisée dans de l’aluminium massif qui pèse tout de même 8 kilos. Les réglages sont des compromis, me dit James Rispoli, l’autre pilote Bagger présent à plein temps. « On cherche à obtenir le même comportement de la direction qu’une moto de course, mais ça ne marche pas », explique-t-il. Les réglages de l’avant sont donc assez souples, tandis qu’à l’arrière ça reste plus rigide, quels que soient les réglages effectués. Il n’est pas non plus possible de jouer avec les biellettes. C’est pourquoi les pneus sont encore plus sollicités. Néanmoins, des angles d’inclinaison de 59 degrés sont parfois observées. C’est pourquoi les “valises” sont raccourcies de moitié dans leur partie inférieure

400 degrés

En m’agenouillant à côté du monstre, j’observe le mécanisme du sélecteur de vitesse. “Goose” me demande avec insistance de ne pas toucher le couvercle fraisé du carter de vilebrequin. Le bout de ses doigts est à peine cicatrisé après avoir, une fois, touché le couvercle alors qu’il était encore chaud à une température de 400 ( !) degrés. Rien sur cette Harley 131R ne peut être comparé aux normes et aux valeurs d’une moto de course “normale”.

Wheelings

On me conseille de reculer un peu, alors que John Hopkins et Melandri vont partir à leur tour. On ne voit littéralement pas Melandri assis sur la moto et il lui manque au moins 20 centimètres pour toucher le sol. Mais il s’élance quand même et se fait déjà dépasser dans la voie des stands par Hopkins. Pendant ce temps, l’équipe de tournage remballe. Lors du premier passage, Hopkins ralenti dans la ligne droite, se redresse et met la Harley bien droite sur la roue arrière. Les vieilles habitudes, apparemment, ne se perdent pas. “Goose” me dit que les pilotes titulaires n’ont pas le droit de faire des wheelings. Sinon, à chaque fois, les joints de fourche sont destinés à la poubelle.

Poser le genoux

Hopkins accomplit environ huit tours d’affilée, et tout le monde adore. Il en va de même pour Brad Binder, qui rit bruyamment sur le côté. Hopkins est absolument ravi d’avoir chassé les derniers restes de l’équipe de tournage. Melandri n’apprécie pas du tout. Il n’arrive pas à poser le genou au sol, ne sent pas la limite. Mais Hopkins, Mamola, Rispoli, Crafar et Wyman roucoulent de plaisir. Et je me joins à eux.

Ça vaut le coup d’œil

J’ai craqué pour ces baggers. Je m’imagine une sorte de BMW BoxerCup avec ces véhicules d’enfer débridés et quelques pilotes un peu dérangés au guidon, retraités et toujours fêlés : où puis-je m’inscrire ? En résumé. Lorsque je suis arrivé à Barcelone, il y avait une Ducati MotoE quelque part dans un coin du paddock. Je ne savais même pas que ces engins avaient couru cette année. Et vous non plus, peut-être. Personne n’y a jeté un coup d’œil. Devant les Harley, tout le paddock présent était debout. A l’exception d’une équipe de tournage exaspérée.

L’espoir fait vivre

Je comprends tout à fait les problèmes actuels liés au réchauffement climatique et les actions qui doivent être menées en ce sens. Mais n’avons-nous pas déjà suffisamment grincé des dents face à l’hypocrisie d’une compétition de motos électriques, dans le cadre d’une structure qui fait le tour de la planète environ six fois par saison ? Mettez un peu de Repsol synthétique dans ces Harley et épatez le public du MotoGP, au lieu de proposer des compétitions avec les motos de course les moins performantes de tous les temps. Et dans toute leur folie, les Harley-Davidson Baggers sont peut-être exactement ce que le public du MotoGP mérite comme échauffement. Revenons simplement à un bonheur sans entrave, là où il est encore possible et peut-être nécessaire. L’espoir fait vivre !

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