Bridgestone Classics: BMW R 100 S – Ducati 900 SD Darmah – Laverda 1000 Jota – Moto Guzzi 850 Le Mans
Si la plupart des constructeurs européens de motos sont aujourd’hui financièrement sains et naviguent dans des eaux relativement calmes, dans les années 1970, certains grands noms ont dû lutter pour leur survie contre un flot de rivaux venus d’Asie. Dans la seconde moitié des années 1970, les constructeurs italiens et allemands ont mis tout en œuvre pour construire des motos pleines de charme et de technologie de pointe pour donner une leçon à leurs homologues japonais.
Rythme effréné
Aujourd’hui, en 2021, la nostalgie peut nous rendre fous. Parmi les motos présentées aujourd’hui, les Moto Guzzi, Laverda et Ducati dégagent un sens typiquement italien de la belle mécanique et de la joie de vivre. La BMW est plus stéréotypée en bonne allemande : sobre et efficace – ce qui a aussi son charme.
Dans les années 1970, les quatre usines japonaises ont conquis année après année le cœur, l’esprit et le porte-monnaie des motocyclistes, grâce à une soif d’innovation ininterrompue et au rythme effréné de développement de nouveaux modèles vendus à bas prix. Les fabricants européens n’ont pas réussi à s’imposer avec leur authenticité et leur technologie dépassée, et ont dû prendre le relais. Pourtant, Ducati, Moto Guzzi et BMW connaissent encore le succès aujourd’hui avec des technologies considérées comme dépassées à l’époque – à savoir le bicylindre en L à 90° de Ducati, le bicylindre en V transversal de Guzzi et le bicylindre boxer de BMW.
L’innovante Laverda
Laverda a été fondée en 1873 en tant que fabricant de machines agricoles et est toujours active aujourd’hui en tant que producteur leader de moissonneuses-batteuses. Mais en 1949, “Moto Laverda S.A.S.” a commencé à construire des deux-roues. L’approche de Laverda a été motivée par son ADN agricole : tout comme un agriculteur doit toujours pouvoir compter sur ses machines, les motocyclistes ne doivent pas avoir à se soucier des problèmes mécaniques.
Massimo Laverda, fils du patron Francesco, fait le tour des États-Unis en 1964 pour étudier le marché émergent des grosses motos. Rentré chez lui, il réussi à convaincre son père de l’importance des pièces de qualité. C’est ainsi qu’en novembre 1966, un prototype de moteur bicylindre parallèle de 60 ch est développé et devient le précurseur de la 750 GT de 1969. La 750 SF qui suivra a repoussera les limites en tant que moto très chère et exclusive pour les “vrais hommes”.
Lent, ennuyeux, dépassé
Mais Laverda aspire à plus de gloire, d’autant plus que BMW, Moto Guzzi et Ducati semblent péricliter avec leurs motos lentes, ennuyeuses et dépassées, destinées à un public conservateur. À une vitesse fulgurante, Laverda développe en 1971 un modèle équipé d’un moteur trois-cylindres double arbre à came en tête de 981 cm3. Plusieurs années de succès commercial et de raffinements techniques s’écoulent – puis en 1975, l’importateur britannique de Laverda “Three Cross” construit une version spéciale du trois cylindres. Avec des arbres à cames et des pistons de haute qualité et un taux de compression plus élevé, la puissante Laverda Jota était née (nommée d’après la Lamborghini du même nom, faisant de Ducati “seulement” la Ferrari des motos). La Jota développait une puissance de 90 ch et atteignait une vitesse maximale de 226 km/h. Un an plus tard, en 1976, la Jota Three Cross devenait un modèle officiel de l’usine.
La renaissance de BMW
Au début des années 1970, après l’homme sur la lune, l’été de l’amour, Woodstock, le flower power, les manifestations au Vietnam, les émeutes raciales, les soulèvements étudiants et l’invasion imminente de l’Occident par les motos japonaises, les quatre grandes marques européennes continuaient à faire les choses comme elles l’avaient toujours fait. C’est difficile à imaginer aujourd’hui, mais l’existence de la division BMW Motorrad ne tenait qu’à un fil ; BMW vendait peu de motos aux États-Unis, avait la réputation d’être la favorite de la police et était achetée par de vieux motards un peu lents. BMW Motorrad n’avait pas de département de design ou de marketing et était considéré comme inutile par les patrons de la division automobile.
Exclusive = populaire
C’était du moins le cas jusqu’en 1971, lorsque Robert Lutz fut nommé à la tête de BMW. Cet Américain effronté avait un faible pour les motos et réussi à faire connaître la sensationnelle BMW R 90 S sur la scène mondiale. La R 100 S, qui lui succède en 1975, reçu un accueil un peu moins chaleureux. Elle fut complètement éclipsée par la R 100 RS, présentée au même moment et qui proposait le premier carénage complet sur une moto de série. Ainsi, bien que la R 100 S disposait d’un chouia de puissance supplémentaire, d’un châssis renforcé et d’autres modifications de détail, le rapport de vente de la RS, beaucoup plus exclusive et plus chère, était d’environ trois contre un en faveur de la RS.
L’ambiance sportive de Moto Guzzi
Entre-temps, une tempête était apparue au-dessus de Mandello del Lario, sur les rives du lac de Côme, où l’usine Moto Guzzi avait connu un véritable succès fin 1975 avec la Le Mans.
Le Mans tire son nom du circuit Bugatti où s’était déroulé pour la première fois le Bol d’Or en 1971. Un prototype Guzzi avait mené pendant dix heures et avait réussi à terminer troisième, malgré un culbuteur cassé. En plus, le moteur bicylindre en V transversal – avec ses cylindres dans le vent – nécessitait peu d’entretien et était facilement réglable.
Si la Moto Guzzi Le Mans a attiré autant d’attention, c’est grâce au style phénoménal du grand designer Paolo Martin, également responsable de la Benelli Sei, de la Peugeot 104 et de la Rolls-Royce Camargue.
La lumière au bout du tunnel pour Ducati
Ducati avait de gros problèmes dans les années 70 : les modèles monocylindres 250/350/450, déjà obsolètes, avaient été retirés de la production, tout comme les modèles 750cc techniquement complexes ; la 860 GT n’était clairement pas appréciée et les nouveaux bicylindres 350/500cc s’avéraient être un échec total sur le plan mécanique. Les modèles exclusifs Super Sport étaient le seul point fort, mais ils étaient trop chers et avaient déjà atteint leur apogée.
Pourtant, l’usine de Borgo Panigale a réussi à garder la tête hors de l’eau – principalement grâce à une personne. Le designer Leopoldo Tartarini était responsable d’un projet dont Ducati avait désespérément besoin. La Darmah est née et a bénéficié de l’amélioration de sa fiabilité et de sa facilité d’utilisation : le levier de vitesse se trouve à gauche, l’électronique provient de Bosch, elle est équipée d’un démarreur électrique et de roues en magnésium coulé Campagnolo laquées or comme cerise sur le gâteau.
Le coup de cœur des testeurs
Après une journée complète de roulage, une seule machine est clairement la préférée des testeurs – bien qu’il s’agisse de la moto au caractère le moins sportif : la Ducati 900 SD Darmah.
C’est en partie parce que, tout à fait dans la tradition italienne, elle triche subtilement avec ses échappements Conti. Démarrez la Ducati, et la “Desmo” aboie d’un ton comparable au martèlement d’une Harley-Davidson. Nous comptons chaque coup, qui semble se synchroniser avec les battements de notre cœur. Après chaque virage, le moteur reprend là où il s’est arrêté, avec une distribution parfaite de la puissance, pour chercher le virage suivant avec une intensité tonitruante.
Faire ses courses
À l’exception de son guidon difforme, qui vous tord les poignets, la Darmah est confortable et détendue. Alors que les trois autres machines vous donnent l’impression d’être sur le point de prendre part au TT, la Darmah ressemble davantage à la machine que vous pourriez utiliser pour faire vos courses. Pourtant, la Ducati montre ses gènes de moto de course quand elle perçoit les routes de montagne. L’empattement incroyablement long maintient le châssis bien aligné une fois que vous prenez un virage. Pour tirer le meilleur parti de chacune des quatre motos, il ne faut pas s’accrocher comme un forcené, mais rouler en douceur et progressivement. Combiné aux tout nouveaux pneus phénoménaux Bridgestone BT-46, il y a même assez d’adhérence pour surmonter les limites techniques de la suspension et des freins conventionnels.
De l’huile sur le feu !
Alors que le pilotage de la Darmah est insouciant et détendu, sur la Laverda, on a beaucoup plus de mal à prendre le premier virage. Tout d’abord, la sensation d’une grosse moto est renforcée par un carénage impressionnant qui, avec les rétroviseurs, vibre comme un marteau-piqueur. A basse vitesse, le train avant donne une impression de flou, comme si la Jota avait des ressorts en caoutchouc, avec un centre de gravité trop élevé. Le moteur a également une sonorité complètement différente de celle des trois cylindres que nous connaissons maintenant.
La paresse du moteur de la Ducati et de la Guzzi est l’exact opposé du trois cylindres de Breganze, bruyant et fougueux. À 6 000 tr/min, là où la Ducati n’a plus de puissance de traction, la Laverda jette une autre bonne dose d’huile sur le feu. Quelle puissance ! L’énorme pare-brise semble indiquer que c’était la machine à poursuivre dans les années 70 et 80. L’époque où les motards se rendaient à Saint-Tropez à des vitesses illégales, leur petite amie sur le dos, les jambes serrées contre le réservoir, la tête à l’abri du vent et oubliant tous les problèmes.
Comme une torpille
Avec la Moto Guzzi Le Mans c’est une autre histoire. Aussi haut que l’on soit assis sur la Laverda Jota, la Moto Guzzi est incroyablement basse sur la route. Avec sa forme longue et basse et son carénage bikini typique de l’époque, la Guzzi semble aller à 120 km/h à l’arrêt. À cette vitesse réelle, elle perce le vent comme une torpille. La position de conduite basse et aérodynamique ne fait pas qu’augmenter la sensation de vitesse du motard, elle fait aussi de la Le Mans la moto de loin la plus sportive. Lorsque vous êtes à son guidon, vous pouvez littéralement compter les grains d’asphalte qui passent sous les roues. Même sur mauvais revêtement, la Moto Guzzi reste de loin la machine la plus digne de confiance dans les virages.
Chaque rotation de l’accélérateur entraîne un mouvement spectaculaire vers la droite, conséquence presque inévitable d’un vilebrequin monté longitudinalement et de cylindres transversaux. On aime ou on déteste, mais c’est une caractéristique inhérente au bicylindre en V transversal (et au boxer BMW).
Freinage à la poubelle
La Moto Guzzi est une machine qui demande de la patience grâce à ses longs rapports de transmission. Lors d’un départ arrêté, la Guzzi peine un peu malgré ses 80 chevaux, mais une fois qu’elle est lancée, rien ne l’arrête. Même dans les montées rapides et longues, le bicylindre en V délivre toujours de la puissance et du couple à tous les régimes. La descente est une autre affaire. Le système de freinage combiné (la pédale actionne le frein arrière et un frein à disque à l’avant, le levier de frein actionne l’autre frein à disque) est mieux adapté à une machine de tourisme. Ou directement pour la poubelle.
La révélation BMW
Quelle machine ! Dès le premier contact, la BMW vous met en confiance. Les leviers Magura fonctionnent de manière si souple et précis que les commandes italiennes semblent préhistoriques. Même s’il ne s’agit que de détails, vous avez immédiatement une impression de qualité supérieure. Comme la Laverda, la BMW vous invite à partir immédiatement en vacances avec votre partenaire et vos bagages, mais l’Allemande inspire la confiance et vous certifie que vous arriverez effectivement à destination. Ses 70 ch donnent une impression de douceur et le moteur boxer réagit mieux lorsque vous changez de vitesse. Bientôt, vous roulez à 195 km/h, sans aucune réaction néfaste du châssis.
Superbe direction
Rappelez-vous, à son lancement, la R 100 S était l’une des rares motos à couvrir le quart de mile en moins de 13 secondes. Lorsque vous ne faites pas de sprints, vous avez l’impression d’être assis dans votre fauteuil préféré à la maison, avec un chat ronronnant sur vos genoux. Et au lieu d’un écran de télévision, la R 100 S dispose d’un tableau de bord complet avec une horloge à quartz (c’était quelque chose à l’époque !), un voltmètre et un autocollant indiquant la pression recommandée des pneus.
Même si la suspension arrière, combinée à la rigidité de l’arbre à cardan, est légèrement flottante, les caractéristiques de la direction de la BMW sont extrêmement bonnes : neutre, solide et pourtant sans effort. Vous devez apprendre à rétrograder uniquement à bas régime, car l’effet de freinage soudain à haut régime déséquilibre la roue arrière. Aujourd’hui, vous pouvez toujours utiliser la BMW comme une machine de tous les jours, bien que la plupart d’entre elles semblent être utilisées de manière abusive car transformées en café racers.
“Et maintenant la fin est proche…”
Depuis le début de la production en 1977 jusqu’aux débuts de la série K dans les années 1980, 11 762 unités de la BMW R 100 S sont sorties des chaînes de production. Plus important encore, les R 90S et R 100 S ont réalisé un travail commercial et de conception révolutionnaire pour BMW, ouvrant la voie aux modèles RT avec succès. Moto Guzzi s’est obstinée avec sa Le Mans, ce qui a donné lieu à des séries successives de modèles II, III, IV et V (la série a pris fin en 1993). La Darmah est restée dans la gamme Ducati jusqu’en 1984, mais à partir de 1981, les grosses cylindrées ont été complètement éclipsées par les nouveaux modèles Pantah, plus légers. En 1985, Ducati a été racheté par Cagiva. La marque a fait bon usage de la technologie Pantah et a produit la Paso en 1986, tandis que les plus grosses motos restaient à l’écart.
En 1978, Laverda a sorti une autre version de 1 200 cm3 du trois cylindres, mais malheureusement le vent n’a pas tourné en sa faveur. Les Jota 1000 RGA et RGS n’avaient pas le caractère féroce et illustre d’antan. En 1985, Laverda a fermé ses portes.
Toutes les motos de ce test étaient équipées des nouveaux pneus Bridgestone BT46. Cliquez ici pour plus d’informations.
Données techniques
BMW R 100 S
Moteur : bicylindre boxer de 980 cm3, 4 soupapes Puissance : 70 ch à 7.250 tr/min
Poids : 220 kg
Production : 1976-1978
Ducati 900 Darmah
Moteur : bicylindre en L à 90° de 864 cm3, 4 soupapes
Puissance : 65 ch à 7.500 tr/min
Poids : 216 kg
Production : 1977-1984
Laverda 1000 Jota
Moteur : trois cylindres en ligne de 981cm3, DOHC 6 soupapes
Puissance : 90 ch à 7.600 tr/min
Poids : 214 kg
Production : 1976-1984
Moto Guzzi Le Mans
Moteur : bicylindre en V à 90° de 844 cm3, 4 soupapes
Puissance : 80 ch à 7.300 tr/min
Poids : 198 kg
Production : 1976-1978