Chronique : La vie avec la Honda CBR600RR
Je sursaute spontanément lorsque j’ouvre la porte du garage. La Honda CBR600RR a ce genre d’influence sur moi. Je l’admets, même si pendant un certains temps, cette sensation avait disparue : les motos sportives m’ont toujours fait perdre la tête….
Texte : Pieter Ryckaert
La crise de la quarantaine et d’autres choses qui secouent la vie vous ramènent à votre cœur. Votre âme. Et quelque part là-dedans se cache apparemment encore une moto sportive sans compromis qui ne demande qu’à être libérée. Pendant des années, j’ai rempli mes manuels scolaires avec ce genre d’engin. À l’époque, je vivais pour les guidons bracelets, les hauts régimes et les genoux par terre. Je ne parlais que dans les dialogues du Joe Bar Team. Les cruisers et les motos de tourisme étaient les véhicules du diable. La CBR600RR semblait être un rêve lorsqu’elle est sortie en 2003…
Avec quelques nuances
J’ai maintenant 45 ans et je ne me souviens plus de l’époque où je conduisais une moto particulièrement sportive. Du moins sur la voie publique. En ce qui concerne cet exercice, le confort d’une moto fait partie de mes souhaits. Sur le comptoir de la cuisine, une nouvelle amende attend d’être payée. De quoi enrichir de quelques nuances, mon vocabulaire Joe Bar Team.
Comme appelé
Mais chassez le naturel, il revient au galop. Des années d’assimilation au confort et à une vie un peu plus tranquille viennent d’être violemment balayées. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, surtout avec le cancer comme cerise sur le gâteau. Cela vous oblige à prendre un moment pour vous mettre devant le miroir et essayer de comprendre qui est de l’autre côté. Et quelque part à l’arrière-plan de cette image, une moto sportive se pointe au coin de la rue. La Honda CBR600RR me vient à l’esprit.
Rester fidèle à la réalité
La CBR600RR revient en Europe avec une solide mise à jour visuelle. Elle est plus que jamais une mini-fireblade. Avec même des ailerons à la mode sous l’avant du carénage. À en juger par mes poches et mes plis dans le miroir, j’aurais bien besoin d’une mise à jour visuelle entre-temps. Mais sans les ailerons. En termes de caractère – contrairement à moi, donc – elle est restée fidèle à elle-même.
BPF
Cocons de petits bourgeois
D’autant plus quand j’appuie sur le bouton du démarreur. C’est de la mécanique Joe Bar Team. Des envolées qui ressemblent à la zone rouge d’un cruiser de moyenne cylindrée. Elle aboie littéralement à chaque coup d’accélérateur. Et les voisins qui passent la tête par la fenêtre pour voir qui ose pédaler sur une tondeuse totalement déréglée un dimanche. C’est un plaisir. Qu’ils assistent également à l’exercice de gymnastique médiocre d’un gars aussi raide qu’un râteau essayant de faire passer sa jambe par-dessus la selle culminant à 820 mm de haut ne me dérange pas. Allez pourrir dans vos cocons de petits bourgeois !
Maintenant, en parlant de s’allonger, le bas de mon dos refuse de coopérer pendant un certain temps lorsque je dois me pencher plus loin que prévu pour attraper les commandes. Il faut dire que j’ai passé toute la journée d’hier à manipuler mon taille-haie. Cela demande beaucoup d’efforts, vous savez. J’actionne l’embrayage avec un index, l’autre se pose spontanément sur le frein avant. Il y a des choses qui ne changent jamais. J’oublie la voiture familiale, le skateboard, les deux scooters et la brouette, et je cède à l’attrait de la route. A la vôtre !
Coupée
Après deux kilomètres, je ne sens déjà plus mes deux index. La circulation du sang semble coupée au niveau des poignets. Mon cou, lui aussi, manifeste déjà une appréciation modérée de tout cela et mes genoux me font tout simplement mal. Pour la première fois, mais pas la dernière, je m’appuie avec mon coude gauche sur le réservoir pour essayer de trouver un peu de confort. Au bas mot j’estime avoir gagner 2 % de confort.
Passage éclair
Devant l’école et le supermarché local, il y a des embouteillages. Je me faufile dans le trafic avec une facilité surprenante. Ces rétroviseurs me permettent de bien voir ce qui se passe derrière moi. Dans le cas présent, il s’agit d’un grand nombre de personnes âgées effrayées qui se rendent au supermarché et qui se précipitent soudain dans toutes les directions à cause de mon passage éclair. Malheureusement, les miroirs sont montés sur des tiges dont la longueur parait démesurée. Je dois donc les replier pour traverser l’embouteillage. Cet embouteillage se poursuit bien au-delà de la capitale, à 35 kilomètres de là.
Contrôler
Je quitte l’autoroute. Et le moulin tourne à plein régime. Chaque vitesse passe avec un bruit sourd du sélecteur et je suis aux anges. Du moins jusqu’au troisième rapport, car c’est là que commence les emmerdes. En l’absence de régulateur de vitesse, je dois garder un œil sur le compteur numérique, un autre sur la route et contrôler ma respiration en même temps. Si je respire un peu trop fort, je dépasse de 7 kilomètres par heure la vitesse moyenne imposée. Frustrant.
Agréable
Avec tout cela, je ressens une vibration perceptible, mais agréable, au niveau de la selle. Elle se transmet sans problème à mes bijoux de famille maintenant réduit de moitié. Et c’est, en fait, la première sensation agréable dans cette zone depuis exactement un an. Je connais un collègue qui a littéralement joui sur la selle de son Enfield. Je n’en suis pas là, mais cela me rend un peu plus heureux.
Le trèfle
C’est avec un sourire béat sous le casque que j’aperçois l’échangeur – en forme de trèfle – tant aimé en direction de l’autoroute. Des années à brûler le côté droit des pneus ici. Des sliders usés. Bref, j’ai eu de la chance. Deux camions, une Tesla et une Dacia étouffent immédiatement toute tentative de réchauffer le côté droit des pneus. Sans parler des glissières de sécurité.
Faire le kéké
À moitié déhanché à côté de la Honda, à une vitesse qui ne s’y prête absolument pas, je me demande si je peux encore le faire : toucher avec le genou. Pas dans la tête, mais réellement. La Honda n’est pas à blâmer. La direction est très souple et stable. Un camping-car, une chinoiserie de voiture et quelques autres véhicules familiaux m’empêchent de concrétiser cette envie. J’abandonne cette idée pour aujourd’hui, car quelque chose me dit que les caméras récemment installées pourraient immortaliser la scène.
Soulagement
Sur l’autoroute, je maintiens la vitesse maximale autorisée le plus rageusement possible. En sixième, c’est comme si la moto roulait au point mort, à en juger par mon ouïe. Il faut au moins rétrograder de deux rapports pour entendre quelque chose. Ce n’est qu’à partir de 8 000 tours que le moteur Honda semble se réveiller. Et c’est là qu’il se déchaîne. À la fois sur le plan auditif et en termes de vitesse. Je réprime l’envie d’aller jusqu’au bout. Je sais que sur ce même tronçon, j’ai un jour donné du fil à retordre à une Bugatti Veyron immatriculée UK avec une Fireblade, lors de la reprise à partir de – à l’époque – 120.
Demi-poulet rôti
Je n’oserais plus faire cela aujourd’hui, uniquement parce que je risquerais de me faire prendre et d’écoper d’une peine de prison. À 140 km/h, je ressens suffisamment de vent contre ma poitrine pour soulager mes bras et mes poignets. Entre-temps, l’agréable vibration a été remplacée par une sensation de bourses rôties comme un demi-poulet. La chaleur qui monte du pot d’échappement sous la selle est à peine supportable. Je me rappelle soudain pourquoi tous ces échappements passent par le bas du moteur. C’est une question de centralisation des masses, d’après le service des relations publiques de presque toutes les marques…..
Caméléon
Je n’ose aller plus vite que la loi ne le permet qu’au-delà de la frontière linguistique, et encore. Je m’arrête à une station-service. À ce moment-là, je ne sens plus du tout mon cou et mes genoux. Mais j’oublie rapidement ces sensations, trop concentré à garder un œil sur le compteur de vitesse et l’indicateur de rapport, et un autre sur la route devant moi. En Wallonie aussi, on sait maintenant que les contraventions pour excès de vitesse rapportent de l’argent.
Faucon
Si on pouvait au moins réparer les chaussée avec cet argent, l’espoir fait vivre. Je chasse comme un faucon pour repérer les nombreux trous du revêtement. Et les éventuelles caméras dans les buissons. Les caméléons doivent faire d’excellents motards, me dis-je parmi toutes les autres pensées ennuyeuses qui me traversent l’esprit. De quoi ai-je rêvé pendant toute ma jeunesse ? Qu’est-ce que je me fais subir dans le but de poursuivre ce rêve d’enfant ? Suis-je fidèle à moi en plus jeune ? Ma tête réclame une moto de tourisme. Confort de la selle. Régulateur de vitesse. Protection contre le vent. Autonomie. Selle chauffante en cas de besoin.
Spa-Francorchamps
Une heure plus tard, j’ai oublié tout ce qui précède. Et cela n’a rien à voir avec la prédisposition de ma famille à la démence. Un genou au sol, un œil sur le compteur affichant « 200 » et le haut de l’Eau Rouge qui me fait penser que je suis au bout du monde. C’est ça. C’est là que tout se joue. La CBR600RR dans son élément. Et le sentiment que tous mes rêves d’enfant sont en train de se réaliser. Dans le double gauche de Pouhon, une fois que l’arrière arrête de remuer alors que je ralentis une 1000cc. La sensation au niveau du frein avant est incroyable. Dans la ligne droite suivante, je modifie un peu le frein moteur pour que l’arrière ne remue pas trop. Et ça marche. Je n’ai pas besoin de contrôle du wheeling. La démultiplication est beaucoup trop longue. Mais qu’importe…
Remorque
Qui se soucie encore du régulateur de vitesse ? Seul la poignée d’accélérateur à fond compte encore. Et quand je m’aventure enfin dans Blanchimont sans freins, je hurle au-dessus du moteur qui rugit. C’est ce qu’il faut répéter systématiquement pour lutter contre le vieillissement. Physiquement et mentalement. Je comprends tout de suite la moyenne d’âge d’une cinquantaine de participants présents ce jour-là. Je reviendrai, mes seigneurs. Mais avec la Honda CBR600RR sur une remorque…