Reportage “100 Colls” : Un rallye moto unique
Parcourir le plus grand nombre de cols possible en 48 heures, voilà en quelques mots ce qui m’attend lors des “100 Colls”. Cet événement, qui se déroule en Catalogne, en Espagne, promet d’être extrêmement spectaculaire et de faire rêver tous les motards. Mais il y a un facteur que je n’avais pas pris en compte….
Texte : Gijs Gilis
La préparation
Le “100 Colls” a lieu le dernier week-end d’avril, mais la préparation de ce rallye commence des mois à l’avance. En fait, vous recevez d’abord une carte topographique de la région dans laquelle vous allez évoluer, qui s’étend de Tarragone en passant par Andorre jusque Perpignan, dans le sud de la France. Dans cette zone se trouvent les 100 cols, mais en réalité il y en a un peu plus. Chaque col se voit attribuer une couleur et une note. Les cols verts sont faciles à atteindre, peu élevés et rapportent peu de points, tandis que le chemin vers les cols noirs est beaucoup plus difficile, technique et, surtout, plus long. Entre les deux, des cols bleus et rouges permettent de reconnaître le niveau de difficulté, à l’instar du marquage couleur des pistes de ski. C’est alors que l’on peut commencer à planifier sont trajet.
Histoire de planification !
Est-ce que je fais le côté nord et ensuite le côté sud ? Mais est-ce que j’arriverai à temps ? Vaut-il mieux faire trois cols rouges plutôt qu’un col noir ? Mais ce col noir vaut plus de points. Dans tous les cas, l’objectif est d’accumuler le plus de points possible à la fin des trois jours. En d’autres termes, le calcul de l’itinéraire est totalement libre. Vous voyez où se trouvent les cols et tout le reste dépend de vous. Le plus difficile est de trouver les cols sur un logiciel comme Google Maps ou, disons, TomTom. Vous obtenez le nom de la route, mais vous ne savez pas toujours où se trouve le point le plus élevé de cette route. Car c’est là que se trouve le “col” et c’est là qu’il faut passer.
Explorer la région
Les 300 participants – c’est un maximum – roulent le vendredi après-midi de 13h à 21h, le samedi de 7h à 21h et le dimanche de 7h à 13h. 28 heures au total, sans oublier les nuits de repos obligatoires de deux fois 10 heures. Je choisis de commencer par le col le plus au nord et de descendre en passant le plus possible de cols noirs et rouges. Ce n’est pas le meilleur choix tactique, car on parcourt trop de kilomètres, mais je ne cherche pas non plus la victoire. Cette année, je veux découvrir le plus possible la région, c’est pourquoi je choisis aussi de faire des détours pour relier les cols et ainsi ne pas gravir un col pour ensuite faire demi-tour. Bien que vous puissiez choisir librement votre temps de conduite, j’ai établi mes itinéraires en fonction du nombre maximum d’heures autorisées par jour. Mais rien ne vous empêche de vous arrêter à 19h00 pour passer une soirée tranquille, et repartir le lendemain à 10h00. Chacun fait ce qu’il veut.
L’équipement
Grâce à un tracker, votre position est suivie par le staff. Ils voient donc également quels cols vous avez passés. Enfin, vous avez besoin d’une application spéciale sur votre smartphone pour recevoir une notification lorsque vous avez passé le “col point” et savoir que vous pouvez commencer à chercher le prochain. Pour cela, j’ai utilisé le système Quad Lock, très pratique, qui me permet d’avoir toujours mon smartphone à l’œil (vivement recommandé !). Enfin, en ce qui concerne la préparation et peut-être le plus important de tous : le choix de la moto. J’ai opté pour une Suzuki GSX-S1000GX. Confortable, équipée de suspensions électroniques, d’un régulateur de vitesse, de poignées chauffantes, d’un quickshifter, d’une selle confort, de sacoches latérales, d’un quatre cylindres puissant et surtout fiable. Allons-y !
Prologue – 1 225 km de la maison au sud de la France
C’est ce trajet que j’appréhendais le plus. Rouler en moto sur autoroute est ennuyeux. On reste assis, toujours dans la même position et le bruit du vent est permanent. De plus, le temps ne s’annonce pas très bon, avec peut-être quelques averses qui passeront au-dessus de moi. Des averses de pluie, pour être clair. Car je ne m’attendais pas à trouver de la neige après à peine une heure de route ! Je ne verrai plus jamais la Baraque de Fraiture de la même manière. Et je peux vous dire que rouler 5 minutes dans la neige avec seulement 3 degrés affichés au tableau de bord laissera des traces durant les 1 000 km que je dois encore parcourir. Un mauvais départ, en d’autres termes, mais au fur et à mesure que j’avance, il fait de plus en plus chaud, ou plutôt de moins en moins froid. Heureusement, mes vêtements ne sont pas percés et le pare-brise de la Suzuki protège suffisamment mon corps du vent. Les poignées chauffantes font des heures supplémentaires pour réchauffer mes doigts glacés.
Un trajet de rien du tout
Et puis on arrive en France et on a le droit de rouler à 130 km/h, on passe un péage, on doit refaire le plein, on mange un coup, et avant même de s’en rendre compte, on est presque arrivé à destination. Un trajet de rien du tout, finalement. Bien sûr, c’est lié à l’excellent confort de la GSX-S1000GX, car avec un roadster et pas de régulateur de vitesse, cela aurait été autre chose. Après l’averse de neige dans les Ardennes, je n’ai pas eu une goutte de pluie pour le reste du trajet, sauf pour les 10 derniers kilomètres jusqu’au B&B. Il continuera de pleuvoir le reste de la soirée et la nuit, mais la sympathique hôtesse m’assure que demain le soleil brillera. Et elle a raison !
Jour 1 – 425 km de la France à l’Espagne
Le rallye commence à 13 heures, je profite donc de la matinée pour encore dormir, prendre un petit déjeuner copieux et astiquer ma moto pour la séance photo programmée. Avec un soleil radieux, cela promet d’être une belle balade de trois jours et je m’élance vers le premier col à 13 heures précises. Au moment de passer celui-ci, je vois une moto couchée sur le sol. Un homme est tombé sur le parking, lors d’une manœuvre à l’arrêt. Je l’aide à relever sa Honda Transalp flambant neuve, heureusement sans dommage, et son aventure peut aussi commencer. Un quart d’heure plus tard, je suis presque éjecté de la route par un pilote en BMW GS qui sort du virage complètement sur ma voie. Je me retrouve pratiquement en dehors de la route et il continue comme si de rien n’était sans s’arrêter, sans lever la main et sans s’excuser. Ça commence fort …
Dans les temps
Les premiers cols sont franchis sans encombre et je suis parfaitement dans les temps pour arriver à l’heure prévue à l’hôtel en fin de journée. En effet, il est essentiel d’y être au plus tard à 21h00, sous peine de devoir revenir le lendemain à l’endroit où l’on se trouvait à 21h00. En effet, c’est à ce moment-là que le traceur s’arrête. Les belles routes, l’absence de trafic et les cols exceptionnels que je passe en permanence me donnent le sourire. C’est l’essence même de la moto. Quelle belle expérience ! Mais voilà que le temps se gâte.
Faisan kamikaze
Pour l’instant, la pluie reste heureusement à l’écart, mais les nuages augmentent. Les sommets des hauts cols sont couverts de brouillard, ce qui ne rend pas la randonnée plus agréable. Je ne vois rien, je suis constamment en train d’essuyer les gouttes d’eau sur ma visière et en plus il fait très froid. Il fait si froid que je rencontre de la neige dans l’un des cols les plus élevés de la journée. Encore une fois ! Qu’est-ce que c’est que cette neige ? J’espérais rouler sous le soleil ces jours-ci. Mais je ne me laisse pas abattre par ce contretemps et je continue mon chemin au rythme prévu. Même un faisan kamikaze que je rate d’un cheveu n’y changera rien. Néanmoins, la route est dangereusement glissante par endroits. Dans un village, je roule derrière une voiture BMW qui frôle de peu la glissière de sécurité après une dérive incertaine. Les deux garçons qui se trouvent à l’intérieur peuvent en rire, mais je pense que les housses de leurs sièges s’en souviendront.
Top 30 à la fin de la journée
A la fin de la journée, il me reste une demi-heure et je décide d’ajouter un autre col. Ce sera l’affaire de quelques minutes mais je ne trouve pas le point. J’emprunte encore une longue route jusqu’à ce que je manque vraiment de temps et que je doive rentrer pour être à l’heure à l’hôtel. Lorsque, au cours du souper, je demande à l’organisation si j’étais encore loin de ce dernier col, il s’avère en fait que je n’en étais qu’à 5 km. Dommage, car c’était un col qui valait beaucoup de points. Je me retrouve tout de même à une belle 29ème place au classement après le 1er jour.
Jour 2 – 860 km et 860 litres de pluie
La deuxième journée sera assez difficile. Il y a 860 km au programme et près de 30 cols. Mais tôt le matin, il pleut déjà, ce qui signifie que toutes les routes sont mouillées et glissantes. Le premier col est déjà un col spécial, car je monte en pente raide sur une sorte de route agricole entre les vaches. Amusant au début, mais troublant quand une vache apparaît soudainement devant vous alors que vous êtes déjà en altitude et dans – vous l’avez deviné – le brouillard. Heureusement, les animaux sont très calmes et s’écartent gentiment. La vue au sommet est spectaculaire. Du moins, c’est ainsi que je l’imagine, car avec l’épais brouillard, il n’y a malheureusement rien à voir.
Encore de la neige !?
On passe au suivant et on espère avoir plus de chance. Mais les nuages ne disparaissent pas et le brouillard reste présent sur les sommets toute la journée. En Principauté d’Andorre, nous roulons même dans la neige sur le col le plus élevé. Trois jours de neige d’affilée, qui l’eût cru ? Juste après avoir traversé la vallée d’Andorre, le col est fermé à la circulation. À juste titre, car il est dangereux de conduire une moto dans ces conditions. Les gants mouillés gèlent complètement et je n’arrive pas à réchauffer mes doigts, malgré les poignées chauffantes. La visière de mon casque s’embue complètement à cause de l’énorme différence de température, alors j’ouvre ma visière et j’essaie d’empêcher la neige de m’aveugler. Heureusement, j’ai de longues jambes qui me permettront de sortir les pieds lorsque la moto glissera, mais heureusement cela ne se produira pas et je peux quitter Andorre en un seul morceau. L’avantage de tout cela, c’est que j’ai réussi à franchir trois gros cols, ce qui, bien sûr, est très utile pour le décompte des points.
Sur des oeufs
Le reste de la journée, il pleut, il pleut et il pleut encore. En tant que tel, cela ne me pose aucun problème lorsque je roule, car avec une bonne combinaison de pluie, seules les mains sont un peu mouillées. Mais sur des routes comme celles-ci, c’est tellement mouillé et glissant qu’on ne peut accélérer nulle part et qu’on roule constamment sur des oeufs. Ce n’est donc pas vraiment reposant, surtout lorsqu’il reste 400 km à parcourir.
En panne d’essence
En fin de journée, je suis toujours sur la bonne route, mais je vais sans doute tomber en panne d’essence. Il reste 35 km jusqu’à la prochaine station-service et l’autonomie restante affichée indique 36 km. Et je dois en plus franchir un long col de plus de 20 km. Pour ne rien gâcher, la plupart des stations-service indiquées par mon TomTom n’existent plus. Je ne peux donc pas prendre le risque de rejoindre une station-service “fantôme”. Je trouve heureusement une station-service à proximité mais hors trajet. Le temps perdu ne se rattrape pas et cela va poser problème pour demain.
Jour 3 – 510 km jusqu’au point d’arrivée
Suite à mon problème d’essence d’hier, je dois ajuster mon itinéraire pour cette troisième journée afin d’atteindre le point d’arrivée à 13 heures tapantes. Mais d’abord, je dois repartir dans la direction inverse pendant une demi-heure pour recommencer là où j’ai terminé hier à 21 heures. Ce n’est pas un cadeau, car cela me fait perdre une heure au total. Et j’étais si joliment placé à la 19ème place du classement après cette deuxième journée d’anthologie hier. Mais bon, encore une fois je n’avais pas le choix. Aujourd’hui, le soleil brille et le quatre cylindres Suzuki de 152 ch est de très bonne humeur. A une allure sportive, je tente de rattraper le temps perdu par tous les moyens possibles, mais je n’arrive pas à trouver les cols prévus ainsi que les points qui vont avec. De toute façon, je n’ai pas le temps de chercher et je poursuis ma route.
Pneus fatigués
En mode attaque, je m’interroge tout de même sur l’état de mes pneumatiques. À la station suivante, je constate qu’ils sont bien fatigués. A deux heures de la fin, je fais ce que je peux pour avancer au plus vite. Comme les nuages. Bien sûr. Pneus usagers, pluie, manque de temps, cols manqués, ce n’est clairement pas mon jour. Les derniers kilomètres sont les plus difficiles, c’est clair. Heureusement, j’arrive quand même dans les délais. Pour terminer, nous avons droit à un délicieux repas et à la remise des prix. Au final, je termine à une honorable 29e place, ce qui n’est apparemment pas si mal pour une première participation. Si je n’avais pas fait d’erreur de carburant le deuxième jour et si j’avais pu passer tous les cols le troisième jour comme prévu, un top 20, voire un top 10, était envisageable. Mais bon, avec des si ….
Épilogue – 1 388 km jusqu’à la maison
Mes pneus sont complètement usés et je dois parcourir 1 400 km pour rentrer. Le problème est que nous sommes dimanche et qu’aucun magasin de pneus n’est ouvert. Je décide de rouler un peu et de passer la nuit à Perpignan. Là, je pourrai faire changer mes pneus demain matin et reprendre la route vers la maison. Aussitôt dit, aussitôt fait, mais il pleut des cordes. Apparemment, me dit la dame du B&B, il n’a pas plu ici depuis un an. Juste au moment où j’arrive, avec des pneus usés. Je ne sais pas ce qui est le plus excitant. Conduire sous une pluie battante avec des pneus lisses ou avec des pneus neufs ? Cela ne n’empêchera pas de dormir ! Quoi qu’il en soit, je repart le lendemain avec des pneus neufs et après deux heures de conduite, la bruine s’arrête enfin. Pour le reste du trajet, plus de pluie. Et lorsque je rentre à la maison, il fait plus de 20 degrés Celsius et le soleil brille de tous ses feux. Pourquoi pas une édition “10 Cols d’Ardenne” l’année prochaine ?