Vers les 4 caps de l’Europe avec la Versys 1100 : partie 3 – le Cap Sud
La rédaction n’hésite pas à relever des défis. Les responsables de Kawasaki et de Bridgestone nous donnent souvent un coup de main. En 2023, nous avions parcouru 15 pays en une journée, l’année dernière nous avons envoyé la Versys 1000 de Bruxelles à Dakar avec des pneus de route A41, et cette année nous avons pour objectif de rejoindre les quatre caps de l’Europe continentale avec un seul jeu de pneus et, ha oui, avec une seule moto, soit 13.000 km à parcourir. Dans les précédents épisodes de cette belle série en quatre parties, vous avez déjà lu comment notre reporter a atteint le cap oriental de la Finlande et a continué à frissonner jusqu’au Cap Nord. Voici le récit de la troisième partie.
Texte : Pieter Ryckaert
État des lieux
Tarifa n’est pas répertoriée comme un cap, mais c’est le point le plus méridional de l’Europe. C’est donc la troisième étape de cette odyssée originale. Et comme c’est là que se trouve l’origine du mot « tarif » ou taxe à l’importation, c’est aussi d’une actualité brûlante pour ceux qui suivent un peu la folie américaine de ces dernières semaines. À en juger par le compteur, la Kawasaki Versys et les Bridgestone T33 ont déjà parcouru ensemble près de 10.000 kilomètres. Les pneumatiques ont particulièrement bien résisté à la torture des routes du nord et de l’est, mais pas sans laisser de traces. Tous ceux qui, comme notre reporter, détestent la plage à cause du sable abrasif entre les fesses, savent ce que les pneus peuvent enduré dans de telles conditions. Autant rouler sur du papier de verre. Et 2 500 kilomètres supplémentaires vont venir s’ajouter, sans compter le tronçon jusqu’au cap occidental de Cabo de Roca.
Biarritz d’une traite
Tel est l’objectif de cette première étape. Qui commence malheureusement par l’autoroute, car notre reporter ne pouvait prendre le guidon de la Versys qu’après quelques engagements matinaux. Autoroute, péage, ravitaillement … et ainsi de suite. Des kilomètres et des kilomètres, en respectant rigoureusement la vitesse maximale autorisée, mais à chaque arrêt et contrôle des pneus, c’est la surprise de voir que la gomme semble se pelotonner à force de subir les mêmes contraintes pendant des kilomètres. La limite n’est pas encore atteinte, mais cela ne saurait tarder. Le doute s’installe soudainement sur la faisabilité de cette expédition qui portera le compteur à au moins 13 000 km. Mais à chaque ravitaillement, la gomme digère de mieux en mieux les autoroutes françaises surtout en comparaison avec les différents revêtements nordiques. L’usure s’avère minime. Lors des quelques virages rencontrés et limités à une sortie de station-service ou à un rond-point occasionnel, le comportement des T33 surprend positivement – surtout dans l’état où ils se trouvent. Il n’y a pas de phénomène notable dans la direction et l’adhérence est également assez constante, quel que soit l’angle d’inclinaison. Cela donne le courage nécessaire pour garder le regard fixé sur Biarritz et les contreforts des Pyrénées qui seront prochainement en vue.
Périphérique parisien
Mais bien avant cela, il y a Paris. Rouen et son ancien circuit de F1 de Rouen-Les-Essarts aurait été une option intéressante, mais il est déjà midi et il n’est pas question de faire des détours inutiles pour mettre les T33 encore plus à l’épreuve. Il y a peu d’endroits où rouler en moto est aussi infernale que le périphérique de Paris. Embouteillages à succession avec des Renaults fanfaronnes et insouciantes entre lesquelles circulent des scooters complètement frénétiques. Il n’est pas question de jouer au « Prince Noir » – pour ceux qui se souviennent de l’officieux recordman du tour du boulevard périphérique qui n’est plus à présenter. Notre reporter arrive sans encombre à la Porte d’Orléans et respire un bon coup.
584 km
Ce souffle se confond avec un profond soupir. Il n’y a rien de plus démotivant que de voir s’afficher sur le TomTom « prochaine sortie à 584 km », mais c’est à peu près la distance qui sépare Paris de Bordeaux. La Kawasaki Versys peut exceller ici grâce à l’absence de vibrations, au confort de la selle et à l’excellente position de conduite. Les T33 risquent de se casser les dents en plein milieu du parcours. Mais il important de rester concentré, et pas question d’utiliser l’oreillette qui pourrait justement distraire. Le fait que celle-ci intégrée dans le casque, vienne buter contre la base du crâne, à gauche derrière l’oreille, renforce ce choix. Et puis il y a l’indicateur d’inclinaison sur le tableau de bord. Pendant des kilomètres, le jeu consiste à mesurer les angles possibles en roulant sur cette misérable ligne droite. Slalomer jusqu’au mal de mer pour utiliser toute la bande de roulement des T33, une manière comme une autre de combler l’ennui ! Tout cela sous le regard de quelques automobilistes qui n’y comprennent rien, mais au moins cela occupe jusqu’à ce que les genoux demandent grâce.
Fish & Chips
C’est alors que tout change. Des nuages sombres s’amoncellent au-dessus de Bordeaux et les 200 derniers kilomètres sont parcourus sur une chaussée mouillée presque en permanence, sans même une seule goutte de pluie. Lorsque la pluie menace de tomber, c’est le moment de s’arrêter pour le souper avec le fish & chips le plus dégoûtant qui soit. Et les pneus ? Ils ne s’usent pas du tout sur le mouillé. C’est le bon côté des choses…
Routes sinueuses
Après une nuit à Anglet près de Biarritz, la mission est de passer Madrid pour ce qui devrait être la partie la plus courte possible de cette deuxième étape. Le TomTom trace une route assez sinueuse, une bonne raison pour en tirer le meilleur parti. Les routes sont encore un peu humides le matin, mais les T33 s’en sortent très bien. Il en va de même pour la Versys 1100. Le mode de conduite “Sport” est conservé tout en accélérant avec beaucoup de dosage de la poignée de gaz dans les virages. La Kawa suit docilement, y compris le quickshifter qui permet de passer facilement des rapports courts en sortie de virage. Le but est d’augmenter l’accélération et la vitesse sur l’angle d’inclinaison, en économisant le centre du pneu arrière autant que possible. C’est une façon de conduire particulière qui demande un peu plus de concentration, mais qui fonctionne. Et à l’arrêt, les pneus semblent très bien l’apprécier.
ETA
Les paysages traversés sont magnifiques, Jésus, comme c’est beau le Pays basque. L’inconvénient d’un tracé aussi sinueux est que l’heure d’arrivée reste très approximative. Sans tomber dans la folie, on voit les minutes s’écouler inexorablement, comme à l’époque de l’ETA. C’est un peu bizarre de penser à cette organisation terroriste qui maîtrisait à la perfection l’écoulement du temps. Du moins lorsqu’ils s’apprêtaient à faire exploser quelque chose dans le cadre de leur lutte pour l’indépendance. Sans cette prudence recommandée pour maîtriser l’usure des pneus, quelques minutes supplémentaires auraient pu être grignotées avec cette Versys, car elle semble faite pour ce genre de job. Sans trop d’effort, l’indicateur d’angle d’inclinaison signale 41° de chaque côté. Les T33 sont des pneus de tourisme, mais ils n’amusent pas du tout la galerie. Quel que soit le rapport ou le régime, vous bénéficiez d’une traction sans faille. Les douleurs aux fesses, après 11 heures de conduite hier, ont pratiquement disparues aujourd’hui. Grâce à une conduite beaucoup plus dynamiques, les genoux sont en parfait état pour profiter pleinement de ce que la région a à offrir. En l’occurrence, le parc national de la Sierra de Cebollera.
Madrid
Mais compte à rebours ETA ou pas, il n’est pas question de flâner. Alors, quelque part perdu dans le triangle Burgos, Valladolid et Zaragosa, il faut estimer où se terminera cette étape. Tolède semble être possible, et le TomTom calcule l’itinéraire en choisissant, cette fois, le parcours le plus rapide. Ce qui signifie encore une fois l’autoroute et la fin de l’amusement. En direction de Madrid, la température au tableau de bord augmente d’un degré tous les 20 kilomètres, pour atteindre 29 degrés juste avant la capitale espagnole. Encore une fois, cela doit faire mal aux pneus. Mais les dieux de la météo sont une fois de plus avec nous. Un formidable orage s’abat sur Madrid juste avant notre passage et inonde les routes. Sans qu’il ne pleuve une seule goutte ensuite. Ce refroidissement doit être particulièrement bienvenu pour les Bridgestone. Sur une piste qui sèche rapidement, les sections humides sont privilégiées le plus longtemps possible, ce qui apporte à nouveau un réconfort mental. L’arrivée à Tolède se fait plus tôt que prévu et nous nous glissons rapidement sous la couette avant un départ anticipé pour la troisième étape.
Tolède-Malaga
Oh surprise, la distance entre Tolède et Malaga est d’un peu moins de 400 km. Il faut être à l’aéroport à 16 heures pour accueillir Manu le photographe. Le TomTom se met donc à l’heure du « chemin le plus court ». L’heure d’arrivée indique 16 h 15, mais sans faire de folies, elle sera ramenée rapidement à 15 h 15. Jusqu’à Ciudad Real, la route est plate et sinueuse. Mais ensuite, c’est la traversée du Parque Natural de la Sierra de Andújar avec une succession de belles routes sinueuses. Néanmoins, il s’avère que le « hors-piste » fait également partie des paramètres de l’itinéraire. Le tronçon, plus long que prévu, fait quatre kilomètres, et il faut rouler sur des œufs pour éviter une crevaison. Pour une fois, c’est une gestion différente de la situation.
Antequera – Torreguadario
Près d’Antequera, le paysage change. Ici, toute la végétation a dû céder la place aux oliviers et on se demande comment cela peut bien fonctionner en termes de biodiversité. La température reste gérable jusqu’à la mi-chemin du Parque Natural Montes de Malaga. L’aiguille se dirige à nouveau vers les 30 degrés, mais un dernier contrôle du pneu arrière montre que l’arrivée à Tarifa ne sera pas un problème. Rallier également le cap occidental du Portugal, le point final de cette aventure, devrait être également possible. L’indicateur d’usure de la bande de roulement n’est toujours pas atteint. Manu atterrit bien à l’heure et, avec sa Dacia de location dans le sillage, nous nous dirigeons vers Tarifa, par un itinéraire sinueux de 220 kilomètres, à la recherche de lieux de prise de vue. Il faut pour cela trouver une route de montagne et, à partir de là, être très sélectifs.
Le plus grand terrain de jeu d’Europe
Les routes entre Malaga et Tarifa, via Ronda, sont peut-être le plus grand terrain de jeu pour la moto que l’on puisse trouver en Europe, les 90 derniers kilomètres ne possèdent pratiquement pas de ligne droite digne de ce nom. Un seul moto d’ordre, prendre les virages en douceur et abandonner le désir d’atteindre le suivant le plus rapidement possible. Mais Manu n’arrive toujours pas à suivre le rythme et doit certainement regretter son sandwich Vueling sur ce parcours ressemblant à des montagnes russes. Finalement, nous réservons Tarifa pour le lendemain matin et nous nous arrêtons à Torreguadiaro pour la nuit, à l’adresse du bar de motards local et d’un hôtel situé de l’autre côté de la route.
Playa Chica
Au petit déjeuner, un banc de grands dauphins semble nous inviter à mettre le cap sur Tarifa comme eux. Nous n’atteindrons pas l’extrême pointe sud pour cause de domaine militaire, ce sera donc Playa Chica. Ici, à l’endroit où à gauche se trouve la Méditerranée et à droite l’Atlantique, la Versys et ses T33 passent aux mains de Manu. Il lui reste encore 700 km à parcourir, mais un dernier contrôle laisse à penser qu’il y parviendra. Les témoins d’usure ne sont toujours pas entamés. Incroyable, compte tenu de l’état dans lequel étaient déjà les pneus il y a trois jours. Sans les routes abrasives des premiers caps, les T33 aurait peut-être pu rentrer en Belgique sans problème. Manu transfère ses bagages, perd immédiatement une paire de gants, avec un peu d’empressement. La Kawasaki Versys 1100 a été parfaite durant ces trois jours pour passer des moments incroyablement agréables. Après deux ronds-points, Manu s’éloigne, souhaitons que le reste de la route puisse être bénéfique pour cet équipage.
Photos: Manu De Soomer